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Le récit de Moise et d’El Kadhir

Le récit de Moise et d’El Kadhir

La Sourate de la Caverne est une des sourates révélée à la Mecque. Elle contient trois des récits racontés dans le Noble Coran. Il s’agit du Récit des compagnons de la Caverne, du Récit de Moise ('Alaihi Sallam) et du Récit de Zoul Qarnein. Ainsi la sourate de la Caverne nous retrace –t- elle les événements qui se sont passés entre le prophète Moise et le serviteur pieux Al-Kadhir, événements auxquels je reviendrai s’il plait à Allah lorsque j’étudierai ce récit du point de vue de la relation contractuelle qui s’est développée entre Moïse et Al-Khadir. Je m’appesantirai sur la nature de celle-ci, sur les législations qui en ont découlées en m'arrêtant, en particulier, sur les points suivants :

1 –la nature de la relation ;

2 –les clauses bilatérales ;

3 – la menace en cas de non respect du contrat ;

4 – la résiliation du contrat ;

5 –les effets de la résiliation du contrat.

1 – La Nature de la relation :

Le récit commence par la mention de la décision ferme de Moïse de se rendre à la jonction des deux mers en quête de savoir comme le précise le verset (sens du verset): « (Rappelle-toi) quand Moïse dit à son valet : "Je n'arrêterai pas avant d'avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années" » (Coran : 18/60)

Les commentateurs du Coran rapportent que Moïse a parlé ainsi à son jeune compagnon lorsque celui-ci lui fit part de l’existence, quelque part, d’un serviteur pieux vivant à la jonction des deux mers et possédant des connaissances auxquelles Moïse n’a pas accès.

Pris d’envie de le rejoindre, Moïse dit alors à son jeune compagnon : «Je n'arrêterai pas» c'est-à-dire je continuerai à marcher tant que je ne suis pas arrivé à la jonction des deux mers. Selon Qatada : il s’agit de la Mer perse du côté est et de la Mer des Romains du côté ouest ; alors que pour Mohammed ibn Ka’b Al-Qouradhi il s’agit plutôt de la jonction des deux mers à Tanger. Et Allah sait mieux. (Voir l’interprétation du Coran par Ibn Khathir volume 3, page 92)

« Ils trouvèrent l'un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous.

Moïse lui dit : "Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? " ». (Coran : 18/65-66)

Moïse a donc rejoint Al-Kadhir, ce serviteur pieux auquel Allah a accordé un grand don de savoir et une immense faveur sous la forme des miracles qu’il a su produire par la volonté d’Allah « une science émanant de Nous » c'est-à-dire un savoir qui vient exclusivement d’Allah, exalté soit-Il, un savoir qui dépend d’Allah Seul, il s’agit de la connaissance du futur, une science divine qui est le fruit du dévouement. On l'appelle encore la science d’ici-bas qu’Allah donne à qui Il veut de Ses serviteurs.

Pour Ibn Attiya : « la science d’Al Kadhir est une connaissance des choses latentes dont la réalité lui a été révélée. C’est une connaissance en vertu de laquelle les actes ne doivent pas être jugés selon les apparences (Al-Jami’ Liahkam Al-Qour’an de l’Imam Al Qourtoubi volume 6 page 16). Le verset : « Moïse lui dit : "Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? " » peut être interpréter comme suit : Me permes-tu de t’accompagner pour m’inspirer de ta connaissance et apprendre quelque chose qui puisse m’aider à mieux m’orienter dans la vie ?

C’est ici qu’on aperçoit dans le récit qu’une relation contractuelle s’est établie entre Moïse et Al-Kadhr et à laquelle s’applique la définition du mot "‘Aqd" contrat qui, étymologiquement veut dire l’assemblage des extrémités de quelque chose avant de les nouer et, conventionnellement, le conditionnement de l’offre par son acceptation par l’un des contractants de façon susceptible de prouver son effet sur l’objet du contrat.

Le contrat a quatre piliers :

a) les deux contractants, c'est-à-dire les deux parties au contrat (dans notre cas il s’agit de Moïse et Al-Khadir) ;

b) l’objet du contrat (l’accompagnement d’Al-Khadir par Moïse) ;

c) l’objectif du contrat (l’enseignement de Moïse par Al-Khadir) ;

d) les éléments du contrat (voyage en quête du savoir).

1 – La demande pour l'accompagnement, formulée par Moïse. Il s’agit d’une adresse pleine de bienveillance et de modestie émanant d’un Prophète honoré et honorable. Cette demande est un exemple à suivre quand il s'agit de se comporter avec quelqu’un chez qui on veut apprendre.

Quant à la définition de l’acceptation il s’agit de la parole ou du geste provenant de l’un des contractants et signifiant son accord. Pour la majorité des oulémas : c’est ce qui émane de celui qui a la compétence d’approprier ou de faire approprier, peut importe que cela émane en premier ou en deuxième lieu (Voir le livre de Adnan Khaled Al Tourkoumani intitulé "critères du contrat en jurisprudence musulmane ")

Dans le cas qui nous intéresse, l’acceptation vient de Moïse et l’accord d’Al-Khadir.

2 – La réponse d’Al-Khadir : il ressort de sa réponse qu’il n’a pas d’objection contre la volonté de Moïse de le suivre même s’il a certaines réserves en raison de sa connaissance de l’incapacité de celui-ci à faire preuve de patience « [L'autre] dit : "Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi.

Comment endurerais-tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance ? "». (Coran : 18/67-68)

Il lui a d'abord expliqué la nature du voyage, ce qui est d'une importance capitale étant donné que chaque partie doit, préalablement à la transaction, expliquer à l’autre partie les tenants et les aboutissants du contrat :

a) les compétences requises pour le contractant ;

b) l’explication de la nature de la mission qui lui est confiée.

Le but étant d'éviter les surprises qui risquent de dégénérer en une dispute due à la méconnaissance, elle même proscrite par la Charia.

3 – L’énonciation de l’acceptation d’Al-Khadir apparaît conditionnée « […] "Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi. " »

C’est-à-dire tu ne peux supporter ce que tu vois. Pour Ibn Abass, cela veut dire : tu ne pourras supporter ce que je fais car je suis renseigné sur les choses futures par mon Seigneur.

Ceci peut être considéré comme l’accord d’Al-Khadir de se faire accompagner par Moïse même si cet accord n’a pas pris la forme d’une acceptation expresse justement parce que Moïse, en exprimant sa disposition à accepter les termes du contrat, n’a pas eu besoin de la conclusion d’un nouvel accord avec Al-Khadir.

L’accord est ce qui émane de celui auquel sera transféré l’objet de l’acceptation et qui exprime son assentiment par rapport aux clauses soumises par l’autre partie.

Al-Khadir a donc expliqué les raisons qui l’ont emmené à poser pareilles conditions " Comment endurerais-tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance ? " C'est-à-dire comment pourras-tu supporter un acte en apparence réprimable alors que tu n’as aucune idée de ce qui le sous-tend ? (Voir le commentaire du Coran par As-Sabouni)

4 - L’assertion de la disposition de Moïse à supporter les rigueurs du voyage et à se conformer aux ordres d’Al-Khadir telle que racontée par le Coran « [Moïse] lui dit : "Si Allah veut, tu me trouveras patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres".» (Coran : 18/69) c'est-à-dire que je me suis engagé à t’obéir.

En plus de la patience, Moise s'est engagé à obéir les ordres d’Al-Khadir tout en liant ceci à la volonté d’Allah « Et ne dis jamais, à propos d'une chose : "Je la ferai sûrement demain", sans ajouter : "Si Allah le veut" » (Coran : 18/23). C’est pourquoi Ibn Abass, parlant de l’homme qui fait un sermon, a dit qu’il doit, même après une année, lier l’exécution de l’objet du sermon à la volonté d’Allah. (Voir l’interprétation du Coran par Ibn Khathir volume 3, page 79)

Il est aussi préférable de se référer, en faisant un sermon, à la volonté d’Allah à cause du Hadith rapporté par Ibn Oumar et dans lequel le Prophète, Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam, dit: « Quiconque fait un sermon tout en liant son exécution à la volonté d’Allah est considéré comme ayant laissé place à l’exception » (Hadith rapporté par Abou Dawoud et déclaré authentique par Al-Albani).

Il est également rapporté dans les deux livres authentiques de Boukhari et de Mouslim, sous l’autorité d’Abou Houreira que le Prophète, Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam, a dit que le Prophète Souleiman Ibn Daoud, ‘Alaihi Sallam, a dit une fois: « Cette nuit je visiterai soixante dix femmes et chacune d’elle donnera naissance à un enfant qui portera les armes dans le sentier d’Allah. » Comme il, a omit de dire « s’il plait à Allah », aucune des soixante dix femmes qu’il a visité n’a donné naissance à un enfant à part une seule qui a eu un enfant infirme. Le Prophète, Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam, a ajouté : « Je jure par Allah que s’il avait dit Inchallah il n’aurait pas parjuré, au contraire, il aurait réalisé son objectif. »

5 – Sur cette base le contrat fut conclu à la demande de Moïse qui dit alors « "Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? "», c’est une question aimable ayant la forme d’une demande qui ne suppose ni obligation, ni imposition. C’est une réponse favorable de la part de Moïse pour exprimer à Al-Khadir son entière disposition à le suivre dans sa marche et dans son voyage en contrepartie d’une seule chose : être enseigner. C’est cela l’objet du contrat ou la compensation requise par Moïse pour suivre Al-Khadir.

Ainsi la compensation peut être matérielle comme elle peut être en nature ou même en service comme le service rendu par Moïse à Chouaïb en contrepartie du mariage de l’une de ses filles « Il dit : "Je voudrais te marier à l'une de mes deux filles que voici, à condition que tu travailles à mon service durant huit ans. Si tu achèves dix [années], ce sera de ton bon gré; je ne veux cependant rien t'imposer d'excessif. Tu me trouveras, si Allah le veut, du nombre des gens de bien".» (Coran : 28/27)

Ainsi donc tous les piliers du contrat sont réunis : l’offre et son acceptation, l’accord sur l’objet du contrat.

Moïse et Al-Khadir s’y sont engagés mutuellement sans rien écrire, sans inviter quiconque à y assister pour être témoin.

Ce qui veut dire que la validité d’un contrat n’est pas conditionnable à la rédaction de celui-ci ou à la présence de témoins.

II – Les clauses échangées :

Allah, exalté soit-Il dit (sens des versets):« Ils trouvèrent l'un de Nos serviteurs à qui Nous avions donné une grâce, de Notre part, et à qui Nous avions enseigné une science émanant de Nous.

Moïse lui dit : "Puis-je suivre, à la condition que tu m'apprennes de ce qu'on t'a appris concernant une bonne direction ? "

[L'autre] dit : "Vraiment, tu ne pourras jamais être patient avec moi.

Comment endurerais-tu sur des choses que tu n'embrasses pas par ta connaissance ? "

[Moïse] lui dit : "Si Allah veut, tu me trouveras patient; et je ne désobéirai à aucun de tes ordres".» (Coran : 18/65 à 69)

1 – Il ressort des versets précédents que chaque partie a dicté ses propres conditions avant de s’engager. Ainsi Moïse a pris un engagement sur lui-même d’obéir à Al-Khadir et de se conformer à ses ordres « et je ne désobéirai à aucun de tes ordres ».

Cela montre que le contractant a le droit de s’imposer des conditions s’il s’y engage. Al-Khadir a stipulé que Moïse s’abstienne de l'interroger tant qu’il n'a pas reçu de sa part une explication c'est-à-dire que Moïse ne doit pas être le premier à poser une question ou à demander une explication. Il devra laisser à Al-Khadir le soin de faire cela « "Si tu me suis, dit [l'autre,] ne m'interroge sur rien tant que je ne t'en aurai pas fait mention".» (Coran : 18/70) c'est-à-dire ne me demande pas d’éclaircissements, laisse moi faire. Donc Al-Khadir lui a posé comme condition au départ, avant même d’entamer le voyage, de ne lui poser aucune question et de ne jamais l'interroger sur ses actes jusqu’à ce que, de sa propre initiative, il s’en ouvre à lui.

2 – Le récit nous permet d’apprendre ceci : l’acceptation préalable par Moïse de la condition posée par Al-Khadir montre que l’élève doit se comporter poliment avec son enseignant. Moïse a dit « et je ne désobéirai à aucun de tes ordres » alors qu’Al-Khadir lui a imposé de ne lui poser aucune question, ce qui suppose de la part de Moïse, une acceptation tacite de toutes les conditions.

Cela veut dire que l’acceptation tacite peut être invoquée comme argument contre le contractant si, après avoir pris connaissance de la condition, il ne résilie pas le contrat. C’était le cas de Moïse qui a continué à accompagner Al-Khadir après avoir pris connaissance de la condition, même s’il n’a pas exprimé son acceptation de celle-ci.

3 – Le contrat est considéré exécutoire s’il n’est pas conditionnel. S’il est conditionné, la condition doit être valable du point de vue de la Charia à cause du hadith rapporté par Boukhari : «Toute condition non soutenue par le Livre d’Allah est nulle, fussent-elles cent. »

De même la condition ne doit pas être contraire aux dispositions du contrat. Par exemple un vendeur ne doit pas dire : je te vends cette voiture à condition de ne pas l’utiliser hors de la localité. Aussi la condition devient elle contraignante si elle est valable au départ comme le dit Al Ghadi Choureih : « quiconque s’impose librement une condition, il y devient assujetti.» (Voir Manar As-Sabil volume 1, page 313).

Il y a plusieurs catégories de conditions contractuelles qui peuvent être revêtues de la formule de l’offre et de la demande provenant de l’un des contractants ainsi qu’il suit :

1 – la suspension ;

2 – la restriction ;

3 – l’adjonction.

La suspension : le conditionnement de l’existence du contrat à l’existence de quelque chose d’autre de sorte que le contrat n’existera pas tant que cette autre chose n’est pas trouvée. Par exemple : l'un des contractants peut dire : je te vends ma maison si mon voisin accepte.

La restriction : il s’agit de prendre une formule qui limite la portée et les effets du contrat, comme par exemple le fait qu’un vendeur dise je te vend la voiture à condition que je l’utilise pour me rendre à telle localité.

L’adjonction : c’est le fait de faire reculer les effets du contrat pour une condition donnée. Par exemple : convenir que la date de prise d’effet d’un contrat de location court à partir d’un certain délai. Dans ce cas le contrat sera conditionné à un temps futur. (Voir le livre « Critères de contrat en jurisprudence musulmane »)

Revenons à Al-Khadir pour dire que c’était là le premier ordre qu’il donne à Moïse. Il reste entre eux deux une condition sur laquelle ils se sont mis d’accord : Moïse ne doit jamais commencer par poser une question à Al-Khadir concernant quoi que se soit de ce qu’il fait tant que celui-ci ne lui en a pas expliqué les raisons.

Quant à la législation qui découle du Hadith « Les musulmans sont contraints par leurs engagements, sauf à transformer le licite en illicite ou à transformer l’illicite en licite. » (Rapporté par Abou Dawoud et jugé authentique par Al-Albani)

Cela montre que si le contractant se pose une condition et que cette condition n’est pas susceptible de produire aucune contravention juridique alors l’autre partie devra s’engager à l’exécuter. Mais en cas de non respect de la condition, le contractant peut faire ce qui lui semble approprié pour préserver ses droits.

III – Le préavis en cas de violation du contrat :

Le récit montre que Moïse et Al-Khadir se sont immédiatement mis à exécuter les termes du contrat, mais que très vite il a apparu que Moïse n’a pas réussi à respecter la condition qui lui a été posée, c'est-à-dire l’abstention d'interroger Al-Khadir tant que celui ci n'a pas, le premier, donné des explications.

1 – la première infraction est donc consécutive à la question concernant le sabotage du bateau «Alors les deux partirent. Et après qu'ils furent montés sur un bateau, l'homme y fit une brèche. [Moïse] lui dit : "Est-ce pour noyer ses occupants que tu l'as ébréché ? Tu as commis, certes, une chose monstrueuse ! " » (Coran : 18/71).

Le Prophète, Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam, a dit dans un hadith rapporté par Boukhari: « La première fut de la part de Moïse, à cause de l’oubli ». C’est pourquoi Al-Khadir était aimable avec lui. Ainsi il a attiré son attention avec beaucoup de respect en utilisant la troisième personne du singulier « il a dit : N’ai-je pas dit que » pour bien montrer la nécessité pour lui de respecter la condition principale qui consiste à se maîtriser et à supporter ses agissements avec les compagnons du navire qui pourtant l’ont honoré et l’ont même embarqué gratuitement avec eux. Comment donc peut-il (Al Khadir) percer leur navire en contrepartie du bien qu’ils lui ont fait. Il parait que Moïse a encore oublié et s’est excusé « "Ne t'en prend pas à moi, dit [Moïse,] pour un oubli de ma part; et ne m'impose pas de grande difficulté dans mon affaire"». (Coran : 18/73).

Pour Al-Qortoubi cela montre que l’oubli n’entraîne pas la sanction et n’entre pas dans le cadre de la responsabilisation ni ne s’y rapporte. Mais le droit du contractant s’établit quand celui-ci en fait notification à la partie qui viole le contrat tout en attirant son attention sur l’information, sans sévérité mais plutôt de façon aimable afin qu’il se rende compte de l’infraction et essaye immédiatement de réparer la faute. (Al-Jami’ Liahkam Al-Qour’an de l’Imam Al Qourtoubi volume 6 page 15).

2 – Le deuxième événement fut beaucoup plus répréhensible au point que Moïse ne put retenir sa langue. Sa réaction ne s'est pas faite attendre « Puis ils partirent tous deux; et quand ils eurent rencontré un enfant, [l'homme] le tua. Alors [Moïse] lui dit : "As-tu tué un être innocent, qui n'a tué personne ? Tu as commis certes, une chose affreuse ! "

[L'autre] lui dit : "Ne t'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? " ». (Coran : 18/74-75).

Cette fois Moïse n’a pas oublié sinon il se serait excusé. Il entendait bien hausser le ton pour exprimer sa réprobation et son indignation totale. C’est pourquoi Al-Khadir a dû l’affronter en lui rappelant l’infraction « "Ne t'ai-je pas dit que tu ne pourrais pas garder patience en ma compagnie ? " ». Il lui a parlé de façon précise. S’il l’a épargné dans le premier cas, dans le deuxième il lui a mis les points sur les i puisqu’ il n’a pas reçu d’excuses de sa part.

C’est là qu’apparaît le recul de Moïse et sa reconnaissance de l’erreur commise. Parce qu’il a violé sa promesse par deux fois, il ne peut plus s’excuser. Il s’est alors imposé une nouvelle condition « "Si, après cela, je t'interroge sur quoi que ce soit, dit [Moïse,] alors ne m'accompagne plus. Tu seras alors excusé de te séparer de moi"» Coran : 18/76). En d’autres termes, je reconnais que je n’ai plus droit de t’accompagner après avoir faussé à deux reprises la promesse que je t’ai donnée. Pour Ibn Al-Arabi ceci montre que l’excuse vaut la première fois de façon absolue, alors que la preuve commence à s’établir de façon définitive à partir de la deuxième fois. Pour Al Qourtoubi, c’est une condition contraignante et les musulmans sont tenus de respecter leurs conditions, la condition qui mérite le plus d’être respectée étant celle contractée par les Prophètes. (Voir Al Qourtoubi volume 6 page 16)

Il faut dire que cette nouvelle condition que Moïse s’est imposée à lui-même est une condition de nature à abolir les termes du contrat c'est-à-dire ce qu’on appelle, de nos jours, la condition compensatrice, celle qu’on n’a pas convenu au départ entre les deux contractants. C’est pourquoi dans le hadith, le Prophète, Salla Allahou ‘Alaihi wa Sallam, a dit : « La première était un oubli, la deuxième une condition et la troisième était délibérée. » (Rapporté par Boukhari).

3 – La troisième infraction qui a conduit à l’abrogation du contrat sans préavis «Ils partirent donc tous deux; et quand ils furent arrivés à un village habité, ils demandèrent à manger à ses habitants; mais ceux-ci refusèrent de leur donner l'hospitalité. Ensuite, ils y trouvèrent un mur sur le point de s'écrouler. L'homme le redressa. Alors [Moïse] lui dit : "Si tu voulais, tu aurais bien pu réclamer pour cela un salaire".

"Ceci [marque] la séparation entre toi et moi, dit [l'homme,] Je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience. » (Coran : 18/77-78) : c’est, selon sa déclaration, le moment de la séparation car le fait même de poser la troisième question une seule fois est suffisant pour mettre fin à l’accompagnement et pour annuler immédiatement le contrat, sans donner l'occasion à l'autre partie de s'excuser ou de produire ses preuves, étant donné que la condition résiliente est réalisée.

Il est intéressant de noter ici la politesse remarquable et la bonne éducation prophétique de Moise dont la grande dignité ne le laissa pas insister ou se confondre en excuses pour ne pas voir le contrat tomber à l'eau, se laissant plutôt imposer la condition comme l’a fait remarqué l’Imam Ibn Hajar en ses termes : « Le travail est fonction de la condition posée c’est pourquoi Al- Khadir a dit à Moïse quand celui-ci a violé la condition « Ceci [marque] la séparation entre toi et moi ». Moïse n’a cependant pas repoussé l’accusation. »

IV – L’annulation du contrat : il s’agit de la disparition de la relation contractuelle liant les deux contractants à l’objet du contrat. Il y a des contrats qui engagent les deux parties comme à titre d’exemple, les contrats de vente ou de location. Leur abrogation et leur établissement n’interviennent qu’avec l’accord des deux parties. Tous les contrats sont annulables à l’exception de ceux du mariage, du divorce et de l’affranchissement des esclaves. Quant aux contrats non contraignants pour les deux parties tels par exemple ceux concernant une société ou une agence, ils s’annulent à la demande de l’une ou de l’autre partie. C’est le cas du contrat entre Moïse et Al-Khadir. C’est un contrat non contraignant. C’est pourquoi Al-Khadir a pu s’en délier à cause de la commission par Moïse d'une condition suspensive

Ce genre d’abrogation contractuelle d'un contrat est admissible en Charia dans la mesure où les deux parties s’accordent sur un objet précis ou sur un délai fixe au-delà duquel le contrat devient nul et non avenu.

C’est comme si, par exemple, quelqu'un dit « si je vous achève tel travail dans trois jours je mériterai ma rémunération, sinon je ne mériterai rien ». Dans ce cas s’il ne termine pas le travail dans le délai imparti, qu’il a lui-même stipulé, alors le contrat sera annulé automatiquement en raison de la réalisation de la condition suspensive. C’est pourquoi il n’y eut aucun besoin de donner un préavis à Moïse ou de lui invoquer l’avènement de la troisième infraction.

Il y a un autre cas appelé la résiliation automatique. Cela arrive quand il y a impossibilité d’appliquer les clauses du contrat. Par exemple : la destruction de l’objet vendu avant sa livraison ou la mort de l’une des parties dans contrat d’une société ou d'un boursicotage. (Voir le livre d’Adnan Khaled At-Tourkoumani : « Critères de contrat en jurisprudence musulmane » page 255)

V – Résiliation du contrat : Le principe général considéré en matière de dissolution d’un contrat par annulation ou par résiliation automatique est que, en vertu celui-ci, il devient obligatoire de faire revenir les deux contractants à la case départ d’avant le contrat.

Chaque partie devra alors restaurer à l’autre partie ce qu’elle avait pour elle. Ainsi si l’abrogation est en rapport avec la vente alors le vendeur devra restituer le prix et l’acheteur l’objet vendu.

Dans le cas de notre récit on voit comment la politesse prophétique de Moïse est payée en retour par le respect par Al-Khadir de la condition principale relative à l’enseignement, même après la résiliation du contrat. Il lui fait part des raisons ayant conduit aux trois événements, en insistant sur le fait qu’ils sont arrivés par ordres d’Allah. C’est pourquoi le Prophète a dit « Je vais t'apprendre l'interprétation de ce que tu n'as pu supporter avec patience. » (Coran : 18/78).

Il convient de remarquer que l’exécution par Al-Khadir de la condition liée à l’enseignement, n’a pas souffert de la résiliation du contrat conclu avec Moïse parce qu’il s’agit d’effets du contrat dont l’annulation n’est pas concomitante avec celle du contrat, étant donné qu’Al-Khadr s’est engagé de lui-même à le faire tout en se réservant le droit d’en préciser le moment «[…] ne m'interroge sur rien tant que je ne t'en aurai pas fait mention.» (Coran : 18/70)

C’est exactement comme dans le cas du contrat de mariage qui peut se défaire par le divorce intervenu au cours de la grossesse sans que l’enfant qui en naîtra puisse être considéré comme n’étant pas l’enfant du mari précédent, il l’est absolument parce qu’il est un des effets du contrat du mariage dissout à la suite du divorce. D’ailleurs le mari n’a pas le droit de contester la paternité de l’enfant tant que celui-ci est du lit conjugal comme le précise le hadith rapporté par Al-Boukhari et Mouslim : « Au lit l’enfant et au fornicateur les pierres » (N.T. : lit renvoie ici au couple légitime et plus précisément au mari et les pierres à la lapidation).

J’implore Allah de m’assister et de faire en sorte que cette modeste étude soit une réussite et une contribution qui permettra d’éclaircir certains aspects contractuels de ce grand récit plein de leçons et d’expériences.

C’est Allah Seul Qui entoure de succès les œuvres humaines et c’est Lui Seul Qui oriente vers le bon chemin.

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