Traitements prophétiques du mal de l’ostentation (riyâ’)
L’intention qui anime une action est l’un des fondements essentiels sur lesquels repose l’acceptation des œuvres auprès d’Allah. Le croyant sincère, dont le cœur est habité par la foi, l’amour et la vénération de son Seigneur, n’agit que pour rechercher Son agrément. Dès lors, les motivations liées à ce bas-monde — éloges des créatures, quête de réputation ou désir d’admiration — s’effacent naturellement. Ainsi, la sincérité (ikhlâs) découle de l’amour profond et de la glorification d’Allah. Le serviteur se doit de s’y attacher avec ardeur afin que son intention soit droite et pure, préservée des impuretés de l’ostentation (riyâ’) et de la recherche de reconnaissance.
L’imam Al-Ghazâlî, dans son ouvrage Ihyâ’ ‘Ulûm ad-Dîn, distingue deux formes d’ostentation :
L’ostentation manifeste (riyâ’ jaliyy), qui pousse à accomplir une action, fût-ce avec l’espoir d’une récompense divine. Elle est la plus évidente. L’ostentation subtile (riyâ’ khafiyy), qui ne motive pas l’action mais la rend plus facile à accomplir. Par exemple, une personne habituée à prier la nuit et qui trouve cela éprouvant, retrouve soudain de l’entrain en présence d’un invité. Si elle agit ainsi uniquement pour être vue favorablement, sans que cela ne soit mêlé de désir sincère de récompense, cela relève de l’ostentation.Compte tenu de la gravité de ce mal — qui peut mener à l’annulation des œuvres et transformer les bonnes actions en fardeaux destructeurs —, il est indispensable d’y remédier par des traitements efficaces et de renforcer en soi la sincérité, condition du salut dans l’au-delà.
1. Se rappeler la grandeur d’Allah et Sa surveillance constante
Allah dit dans la sourate Ash-Shu‘arâ’ (26 / 217-220) :
Et place ta confiance en le Tout-Puissant, le Très Miséricordieux, qui te voit lorsque tu te lèves, et ton comportement parmi ceux qui se prosternent. Il est, en vérité, l’Audient, l’Omniscient.
Dans les deux Sahîh, selon le hadith rapporté par Abû Hurayrah, le Prophète () interrogea l’ange Jibrîl (Gabriel) sur la signification de l’ihsân (l’excellence) et celui-ci répondit :
C’est que tu adores Allah comme si tu Le voyais. Et si tu ne Le vois pas, certes, Lui te voit.
Le plus haut degré est celui de la mushâhadah (vision du cœur), où le croyant atteint une certitude telle qu’il agit comme s’il voyait Allah de ses propres yeux. Ibn al-Qayyim, dans Madarij as-Sâlikîn, écrit :
Il ne fait aucun doute que la force de la certitude transforme l’invisible en une réalité perceptible.
Et si ce niveau n’est pas atteint, reste celui de la murâqabah (surveillance intérieure), où le serviteur se rappelle que son Seigneur voit son cœur, son intention et les pensées qui le traversent. Ce rappel contribue à purifier l’intention et à repousser les tentations de l’ostentation.
2. Surveiller l’état de son intention et ses fluctuations
Le fidèle doit s’appliquer à déceler les subtilités de l’ostentation qui peuvent se glisser dans son cœur sous l’apparence de la piété. D’où la nécessité d’une vigilance constante et d’un repentir sincère pour les pensées cachées qui échappent parfois à la conscience.
Dans le Sahîh d’Ibn Hibbân, le Prophète () a dit :
Le polythéisme dans cette communauté est plus discret que la marche d’une fourmi.
Abû Bakr (qu’Allah soit satisfait de lui) demanda :
Et comment s’en préserver, ô Messager d’Allah ?
Il répondit :
Dis : “Ô Allah, je cherche refuge auprès de Toi contre le fait de T’associer sciemment, et je Te demande pardon pour ce que j’ignore.”
La lecture des ouvrages des maîtres de la spiritualité musulmane, comme ceux d’Al-Ghazâlî ou d’Ibn al-Qayyim, permet d’aiguiser cette vigilance. Leurs analyses profondes sur les mécanismes de l’âme et les ruses subtiles du riyâ’ offrent au lecteur des clés pour s’en préserver et assainir son cœur.
3. Cacher ses œuvres pieuses autant que possible
L’un des remèdes les plus efficaces pour protéger l’intention est de dissimuler ses bonnes actions, surtout lorsqu’on est encore vulnérable à la recherche de l’approbation des autres. Le fait d’agir en secret affermit la sincérité et éteint le désir d’être vu.
Cette règle ne concerne pas les actes qu’il est recommandé d’accomplir en public, comme le pèlerinage, les prières collectives, ou certaines formes d’aumône destinées à encourager les autres.
Dans les Sunan d’At-Tirmidhî, le Prophète () a dit :
Trois personnes sont aimées par Allah : un homme qui se lève la nuit pour réciter le Livre d’Allah, un homme qui donne une aumône en secret au point que sa main gauche ignore ce que donne sa main droite, et un homme qui, alors que ses compagnons ont fui, reste ferme face à l’ennemi.
Al-Ghazâlî a dit dans Ihyâ’ :
Le traitement consiste à habituer l’âme à cacher les œuvres d’adoration, comme on cache les fautes, jusqu’à ce que le cœur soit apaisé par le fait qu’Allah seul en soit témoin.
4. Repousser les pensées d’ostentation sans s’y attarder
Il est naturel que des pensées d’ostentation surgissent parfois durant l’adoration. Mais tant que le cœur lutte contre elles et qu’elles ne deviennent pas intentionnelles, elles ne nuisent pas à l’œuvre.
Dans le Musnad d’Ahmad, selon Ibn ‘Abbâs :
Un homme vint voir le Prophète () et lui dit :
Ô Messager d’Allah, il m’arrive d’avoir des pensées que je préférerais tomber du ciel plutôt que de les exprimer.
Le Prophète () répondit :
Allahu Akbar, Allahu Akbar, Allahu Akbar! Louange à Allah qui a limité sa ruse à de simples murmures.
Ce hadith montre que le fait de rejeter les pensées d’ostentation suffit à préserver la sincérité.
5. Se rappeler le châtiment réservé à l’ostentation dans l’au-delà
L’ostentation est un péché grave qui annule les bonnes actions. Elle attire la colère divine et plonge le cœur dans la dispersion et l’inquiétude, du fait de l’attention portée au regard des autres. Le hadith célèbre sur les trois premières personnes jetées en Enfer le Jour du Jugement en témoigne : un combattant, un lecteur du Coran, et un donateur — tous ont agi dans le but d’être loués.
Dans le Sahîh d’Ibn Hibbân, le Prophète () dit :
Ô Abû Hurayrah, ce sont ces trois-là qui seront les premières créatures à attiser le Feu de l’Enfer le Jour de la Résurrection.
Celui qui agit par désir des biens ou de l’approbation des créatures doit se souvenir que c’est Allah seul qui donne ou prive, et que la recherche des hommes mène souvent à l’humiliation. Même s’il obtient ce qu’il espérait, cela s’accompagnera de reproches et de disgrâce.
Mais s’il avait été sincère envers Allah, Celui-ci aurait placé sa sincérité dans les cœurs, inspiré l’amour et les éloges des gens, et l’aurait élevé sans qu’il ne cherche à l’être.
Comme cet homme qui déclara :
Mes louanges sont une parure, et mes blâmes sont une disgrâce.
Le Prophète () rétorqua :
Tu mens ! Car c’est Allah — nul autre que Lui — qui élève ou rabaisse.
(Rapporté par l’Imâm Ahmad, d’après Al-Aqra‘ ibn Hâbis)