L’écriture arabe face à des défis

30/11/2014| IslamWeb

Personne ne peut remettre en question le fait que l’écriture arabe est particulière, très belle et l’expression de la sensibilité et la nature de la culture arabe et islamique. Bien que nous ne puissions pas connaître exactement toute l’histoire de la création de l’écriture arabe dans sa forme actuelle et employée aujourd’hui, nous savons avec certitude qu’elle est passée par des phases de développement durant lesquelles se sont peu à peu formées les lettres qu’on emploie maintenant pour écrire en arabe.
Les sources montrent que les caractères employés pour écrire l’arabe étaient diverses, ces derniers ont existé avant l’apparition des lettres arabes actuelles puis ont servi à l’écriture de celles-ci ensuite ; toutefois, ils ont disparu et personne n’a rien écrit sur leur diffusion. Au tout début il y avait donc l’écriture himyarite qui est considérée par les historiens comme les prémices originales des caractères graphiques arabes, c’était en fait l’écriture des peuples du Yémen. Vint en suite l’écriture araméenne, dont le nom vient de la tribu d’Aram, cette écriture pénétra dans la péninsule Arabique avec les missionnaires chrétiens qui s’y rendirent, elle devint par la suite la langue d’écriture officielles des Eglises orientales. Puis apparurent les écritures thamoudéennes, qui renvoient au peuple de Thamoud, lihyanide ou safayenne.

Si nous examinons rapidement les étapes majeures du développement de l’écriture arabe, nous découvrons que l’avènement de l’Islam représente un saut qualitatif pour l’histoire de la culture arabe de manière globale mais plus particulièrement pour celle de l’écriture arabe. C’est ainsi qu’avec l’apparition de l’Islam, une culture écrite a commencé à se diffuser et l’illettrisme a largement diminué grâce au développement d’un système administratif qui pénétrait dans des zones reculées habitées par des Arabes.
L’écriture arabe fut avant tout employée pour rédiger le Noble Coran, puis ensuite pour la rédaction des propos et lettres des divers dirigeants de ces contrées. Puis peu à peu à l’époque des Omeyyades, et notamment à celle de ‘Abd al-Malik ibn Marwân, les administrations furent arabisées (car les musulmans trouvèrent en Syrie un système administratif byzantin) et les pièces furent désormais marquées par des écritures en langue arabe. Puis après cela, vers la fin du premier siècle de l’Hégire, l’écriture arabe est entrée dans une phase d’embellissement et d’amélioration, c’est ainsi qu’on y ajouta les points diacritiques et les signes syntaxiques. Et au milieu du deuxième siècle de l’Hégire, ‘Abd al-Malik ibn ‘Abd al-‘Azîz ibn Djarîdj al-Basrî composa le premier livre qui fut écrit dans la civilisation islamique. Après cela l’aspect artistique de l’écriture arabe se développa rapidement, puis elle adopta deux tendances stylistiques principales dont la première a avoir avec l’embellissement esthétique (kufique) et l’autre est qualifiée de cursive. La première des écritures stylisées fut l’écriture kufique avec ses variantes géométrique, entrelacée ou fleurie ; on trouve en outre d’autres écritures décoratives comme les écritures monogramme, calligraphique ou persane. Quant aux styles d’écriture cursive, ils sont divers, mais les principaux sont le tûmâr, le thuluth, le thalathîn wa nisf ou encore le riq’a.
C’est un fait que l’Orient et l’Occident musulmans ainsi que les Arabes et les non-Arabes ont tous participé au développement de l’écriture arabe. C’est ainsi que l’école du Maghreb et de l’Anadalus s’est emparé de l’écriture kufique et l’a améliorée durant les cinq premiers siècles de l’Hégire, puis elle l’a assouplie dans le but de pouvoir s’en servir pour l’écriture quotidienne. Il faut savoir que l’écriture andalouse « maghrébinisée » – comme la nomme Ibn Khaldoun – a longtemps était dominante dans le Maghreb, puis l’évolution « maghrébinisante » de cette écriture fut achevée à l’époque de la dynastie mérinide, c’est-à-dire au septième siècle de l’Hégire, au point que cette écriture se distinguait des autres par de nombreuses spécificités. Notons qu’il y a peu, les chercheurs ont déterminé les différentes variantes de l’écriture maghrébine comme les écritures kairouanaise, andalouse, persane ou soudanaise.

Pour ce qui est de l’est du monde islamique, il faut savoir que les Iraniens prêtèrent une grande attention à l’écriture arabe et lui apportèrent des améliorations et lui ajoutèrent des éléments, c’est ainsi qu’ils inventèrent l’écriture du « commentaire » (khatt al-ta’lîq), puis apparut un calligraphe perse innovateur du nom de Mayr ‘Ali, lequel développa encore l’écriture du commentaire en lui ajoutant des éléments de la calligraphie cursive (al-naskh) qui prit donc pour appellation « al-nasta’lîq » (assemblage des termes « ta’lîq » et « naskh »). Puis le vizir perse Ibn Maqla al-Chîrâzî inventa l’écriture dite thuluth, de plus il rédigea sur le sujet de l’écriture et de la calligraphie un ouvrage de géométrie qui est considéré comme véritablement un chef-d’œuvre du genre, cet ouvrage a sans aucun doute était l’initiateur d’une science particulière qui est le calcul géométrique de la mesure des lettres par les mathématiques.

Pour ce qui est des calligraphes turcs et seldjoukides, nous savons qu’ils ont excellé dans le domaine de la calligraphie arabe, il est d’ailleurs à noter que ces derniers ont concentré leurs efforts sur le perfectionnement des écritures naskh et thuluth. Il faut savoir que l’art de la calligraphie arabe a atteint des sommets de perfection et de beauté à l’époque des Ottomans, les calligraphes turcs ont ainsi laissé à la postérité des monuments de la calligraphie absolument magnifique. Ces hommes de lettres spécialisés dans l’art de la calligraphie arabe occupaient une place prestigieuse dans la société ottomane, à telle enseigne que certains sultans turcs apprenaient auprès des plus grands d’entre eux l’art de la calligraphie arabe, et certains de ces sultans devinrent eux-mêmes de grands calligraphes comme c’est le cas par exemple des sultans Mahmûd Khân et ‘Abd al-Hamîd al-Thânî. Notons que les Ottomans contribuèrent en outre à l’enrichissement de la calligraphie arabe en inventant des styles d’écritures nouveaux comme par exemple le dîwânî, le dîwânî al-djallî ou encore le riq’a qui devint l’une des calligraphies arabes les plus répandues.

A l’époque de la Nahda, qui eut lieu au XIXe siècle et qui est mouvement transversal de renaissance arabe moderne, à la fois littéraire, politique, culturelle et religieuse, l’évolution de l’écriture arabe prit une nouvelle direction, c’est ainsi que furent ajoutés à cette dernière les signes de la ponctuation, ce qui était une influence claire des langues occidentales et latines. Ces signes contribuèrent grandement à rendre plus claire le texte par la séparation logique des différentes parties du texte en phrases (ponctuées de virgules, de points et de points-virgules) et en paragraphes distincts ou par la mise en évidence du but du texte via l’utilisation de points d’interrogation, pour le questionnement, ou de points d’exclamation, pour l’étonnement. Le premier à avoir ajouté cette ponctuation dans l’écriture arabe fut le cheikh de l’arabité : Ahmad Zakî Bâchâ, ce dernier composa en 1912, avec l’aide d’autres chercheurs et hommes de lettres, un ouvrage intitulé La ponctuation et ses signes. A partir de là le ministère de l’Instruction publique égyptien de l’époque reconnut l’utilisation de ces signes dans l’enseignement scolaire. Puis, en 1932, un « comité de facilitation de l’écriture académique de la langue » trouva bon la reconnaissance de cette ponctuation par le ministère de l’Instruction publique égyptien faite vingt ans plus tôt et donc rendit un rapport à ce sujet stipulant l’introduction de dix autres signes de ponctuation.

A une certaine époque, l’écriture arabe a été dominante dans le monde, cette dernière a été durant le Moyen Âge l’écriture la plus utilisée, c’est ainsi qu’elle domina à un moment une grande partie de l’Afrique, en fait une grande partie des langues et dialectes de ces contrées s’écrivaient avec l’alphabet arabe à l’instar de l’afrikans, du berbère, du harari (langue d’Ethiopie), du houssa, du foulani, du mandingue, du wolof, du nubia, du swahili ou encore du birouba dans l’ouest de l’Afrique. Par ailleurs, en Europe également certaines langues s’écrivaient avec les lettres arabes comme l’albanais, l’azéri en Azerbaïdjan, le grec dans certaines régions spécifiques de la Grèce et d’Anatolie ; en outre, l’alphabet arabe fut employé en Europe par les Mozarabes (chrétiens arabisés de la péninsule ibérique) du Royaume d’Aragon, du Portugal et d’Espagne à l’époque où les musulmans dominaient la péninsule ibérique qui s’appelait alors l’Andalus. Notons en sus que cet alphabet arabe a été également utilisé en Asie mineure, dans les pays de la fédération de Russie, en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et sur tous les territoires placés sous domination de l’empire ottoman.
Toutefois, cette expansion de l’emploi de l’alphabet arabe dans l’écriture de multiples langues connut un reflux très fort durant le vingtième siècle, et notamment à cause du remplacement en 1928 de l’alphabet arabe par l’alphabet latin dans l’écriture de la langue turque, remplacement qui faisait en fait partie d’un processus d’occidentalisation de la société turque plus général. De même qu’en 1960 le ouigour, qui est a langue du Turkestan oriental, remplaça les lettres arabes par les lettres latines pour son écriture ; par ailleurs, en Malaisie et en Indonésie, la langue malaise, qui s’écrivit longtemps avec l’alphabet arabe, adopta en 1963, par une décision du colonisateur anglais, l’alphabet latin. Notons malgré tout qu’une partie des chefs-d’œuvre de la littérature albanaise s’écrit encore en langue arabe, de même qu’il est notable que les langues de la région de Balkans s’écrivaient avec les lettres arabes jusqu’en 1970, date à laquelle le dernier livre en langue albanaise employant cet alphabet fut édité.
Quant aux républiques islamiques en Asie qui se sont séparées de l’Union soviétique comme le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizistan ou l’Azerbaïdjan, elles décidèrent lors d’un congrès qui se tint à Ankara en 1993 d’écrire leurs diverses langues avec un alphabet latin modifié comportant 34 lettres. Rappelons en sus que lorsque la colonisation occidentale dominait une grande partie du continent africain, elle lutta contre l’utilisation des lettres arabes pour l’écriture des langues africaines et elle réussit à les remplacer par l’alphabet latin. Ce processus se fit en plusieurs étapes ; d’abord, dans les années trente du siècle dernier, pour la première fois en Afrique furent publiés des ouvrages en langues houssa et swahili écrits avec des lettres latines, qui étaient et sont toujours les deux langues les plus répandues sur le continent africain. Cette orientation fut ratifiée et globalisée sous l’égide de l’Unesco au milieu des années soixante-dix lors d’une conférence qui se tint à Dakar au Sénégal, c’est ainsi qu’il fut décidé lors de cette réunion que toutes les langues africaines sans exception seraient désormais écrites avec les lettres latines. Pour cela il fut instauré des règles strictes, ce fut là un tournant décisif qui provoqua un éloignement définitif entre les Africains et leur héritage écrit ce qui amena ces derniers à oublier leur culture passée, en somme c’est comme si leur vie culturelle avait commencé avec la colonisation européenne de leurs pays, alors que la culture européenne ne puise aucune racine en Afrique, cette dernière n’était qu’une émanation de la colonisation qui commença et s’acheva lors du siècle dernier.
Mais les choses ne s’arrêtèrent pas au fait que de moins en moins de langues non arabes abandonnèrent l’alphabet arabe pour adopter des lettres latines ; en effet, il se trouve que la langue arabe elle-même fut sujette à des appels à la latinisation de son alphabet, appels formulés par les grands pontes de l’orientalisme et de l’occidentalisation intégrale. Cette théorie fut introduite et diffusée sournoisement par une multitude d’articles de presse, d’études et de recherches. Notons que l’académie de la langue arabe du Caire tint une séance le 3 mai 1943 avec pour sujet des débats : « La substitution des lettres arabes par les lettres latines » ; cependant, ce projet froid est mort-né, il ne suscita aucun accueil enthousiaste dans les cercles scientifiques et académiques de même qu’il n’eut aucun écho parmi le grand public. L’explication de cet échec est que ce projet n’aurait fait que compliquer le problème plutôt que le résoudre, il n’aurait pas surmonté les difficultés de l’orthographe, bien au contraire il aurait provoqué un désordre par son application qui aurait nécessité la création de nouvelles règles d’orthographe complexes, de même qu’il aurait empêché l’évolution littéraire et sociale recherchée.

Toutefois, l’obstacle insurmontable et le plus grand défi auquel doit faire face l’écriture arabe concerne les techniques des outils de communication modernes, lesquels outils ont donné le jour à une langue hybride que l’on appelle la langue du « tchat » qui est un mélange de lettres latines, de chiffres, d’abréviations et de symboles employés pour communiquer par écrit en arabe à la place de l’alphabet arabe. Cette langue du tchat se distingue par sa rapidité, sa concision et sa capacité à s’autogénérer, elle sert donc de langue de communication écrite privilégiée et de lecture sur tous les supports modernes (Ipad, Iphone, etc.), de plus elle ne nécessite pas le téléchargement spécifique pour la langue arabe.
Quand on étudie de plus près le phénomène de cette langue nouvelle, on s’aperçoit que les causes de sa diffusion et de l’attachement qu’ont les gens à l’utiliser renvoient à des raisons purement techniques, c’est-à-dire qu’on constate souvent l’absence de touches arabes sur les claviers, ce qui oblige les utilisateurs à recourir à l’alphabet latin même si ces derniers ne comprennent rien aux langues étrangères. Certains d’entre eux utilisent cette langue pour des raisons purement communautaires, ainsi la plupart des utilisateurs des réseaux sociaux, et en premier les jeunes parmi eux, désignent ceux qui utilisent encore l’alphabet arabe comme des « ringards » qui voient d’un mauvais œil ceux qui se servent de la langue du tchat pour écrire. Il a été demandé à une utilisatrices des réseaux sociaux les raisons pour lesquelles elle employait ce genre d’écritures, et ce, bien qu’elle ne maîtrise que la langue, sa réponse a été qu’elle préfère utiliser cette langue, car, d’une part, cela lui confère une sorte de « prestige » et, d’autre part, elle y est contrainte parce que cette langue est le seul moyen de communiquer par écrit avec ses amies qui n’emploient aucune autre langue.
En conclusion, nous pouvons dire que l’emploi de cette langue provoque la disparition de l’orthographe, de la syntaxe et de l’écriture arabe alors que dans le même ses utilisateurs n’acquièrent aucune connaissance sur les cultures étrangères, de plus une immense partie d’entre eux sont totalement ignorants des règles de l’orthographe de la langue arabe ainsi que de celles des langues étrangères.

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