Scènes et images de l’Hégire
« On m’a montré en songe le lieu de votre émigration, une terre de palmiers ; j’ai d’abord imaginé que c'était al Yamâma ou Hadjr, mais en fait c’était Yathrib, "Médine" »
Telle fut la vision que le Prophète () reçut : elle représentait l’arche de salut permettant d’échapper aux persécutions de Quraysh, pour atteindre un rivage de sécurité et une terre de liberté que les musulmans avaient longtemps espérée. Ainsi, ils se préparèrent à émigrer vers Médine, y compris ceux qui se trouvaient en Abyssinie.
Quraysh, cependant, ne comptait pas laisser les croyants quitter La Mecque aussi facilement. Elle utilisa les moyens les plus brutaux de répression et de torture, dans l’espoir de faire échouer cette émigration collective. Mais les croyants étaient résolus à tout sacrifier, prêts au don de soi, à affronter les complots avec patience et fermeté, peu importe les conséquences. De là sont nés des exemples sublimes, dignes de méditation et de réflexion.
Ainsi, Abû Salama (qu’Allah soit satisfait de lui) prit la route de l’émigration vers Allah et Son Messager, accompagné de son épouse et de son fils. Mais les proches de sa femme l’empêchèrent de l’emmener, et arrachèrent aussi l’enfant. Les proches d’Abû Salama s’indignèrent et dirent : « Par Dieu, nous ne laisserons pas notre enfant avec elle. »
Les deux familles se disputèrent si violemment l’enfant que son bras se disloqua. Finalement, les proches d’Abû Salama le récupérèrent, et celui-ci poursuivit seul son chemin jusqu’à Médine.
Abû Salama fit donc face à cette épreuve avec patience et fermeté, tandis que son épouse endurait l’amertume de la séparation d’avec son mari et son fils. Durant près d’un an, elle sortait chaque jour, pleurant jusqu’au soir. Un jour, un homme de son clan, ému de compassion, intercéda auprès des siens pour qu’ils la laissent émigrer. Quand la nouvelle parvint à la famille de son mari, ils lui rendirent son fils. Elle se mit alors en route, seule avec son enfant.
Sur le chemin, ‘Uthmân ibn Talha la vit dans cet état et lui fit monter sa monture. Il marcha à ses côtés jusqu’à l’entrée d’un village proche de Médine, puis lui dit : « Ton époux est dans cette localité. Entre donc avec la bénédiction de Dieu. » Et il retourna à La Mecque.
L’émigration de Suhayb ar-Rûmî (qu’Allah soit satisfait de lui) représente une autre facette de l’Hégire, illustrant le sacrifice des biens pour la cause de Dieu. Ayant la ferme résolution d’émigrer, il fut poursuivi par les idolâtres de Quraysh. Lorsqu’ils l’atteignirent, il tira ses flèches et les menaça de se battre jusqu’au dernier souffle. Ils lui dirent :
« Tu es venu à nous pauvre, tu t’es enrichi chez nous, et tu veux partir avec ta personne et ta fortune ? Jamais cela ne sera ! »
Il leur répondit :
« Que diriez-vous si je vous laissais ma fortune ? Me laisseriez-vous partir ? »
Ils acceptèrent. Il leur indiqua alors l’endroit où il avait caché sa fortune à La Mecque, et ils le laissèrent poursuivre son voyage vers Médine, après avoir sacrifié tous ses biens pour sa foi et sa mission.
Lorsque le Prophète () apprit cela, il déclara :
« Quelle bonne affaire, Abû Yahyâ ! »,
et il récita le verset : {Et il est des gens qui se sacrifient pour rechercher l’agrément d’Allah. Et Allah est Compatissant envers Ses serviteurs.} (Coran 2/207) – Rapporté par Al-Hâkim.
Parmi les scènes marquantes de l’Hégire figure aussi celle de ‘Umar ibn al-Khattâb, ‘Ayyâsh ibn Abî Rabî‘a et Hichâm ibn al-‘Âṣ, qui s’étaient secrètement donné rendez-vous hors de La Mecque pour quitter la ville. À l’heure convenue, ‘Umar et ‘Ayyâsh se présentèrent, mais Hichâm ne vint pas : Quraysh l’avait capturé et torturé jusqu’à le faire apostasier.
Quand ‘Umar et ‘Ayyâsh arrivèrent à Médine, Quraysh mit au point une ruse pour faire revenir ce dernier. Abû Jahl et al-Hârith ibn Hichâm, deux de ses proches, se rendirent à Médine, le cherchèrent jusqu’à le trouver à Qubâ et lui dirent : « Ta mère a juré de ne plus se coiffer ni se protéger du soleil tant qu’elle ne t’aura pas revu. »
Cette parole toucha ‘Ayyâsh, qui craignait d’être la cause d’une souffrance pour sa mère.
Mais ‘Umar comprit immédiatement la manœuvre et lui dit :
« Par Allah, ils ne cherchent qu’à te faire apostasier. Prends garde ! Si les poux de ta mère la dérangeaient, elle se coifferait ; et si la chaleur de La Mecque l’accablait, elle se mettrait à l’ombre. »
‘Ayyâsh répondit : « Je vais honorer le serment de ma mère et récupérer mon argent là-bas. »
‘Umar insista : « Par Allah, je suis l’un des plus riches de Quraysh. Je te donne la moitié de ma fortune, ne pars pas avec eux ! »
Mais il refusa, et ‘Umar lui donna au moins sa monture pour fuir en cas de besoin.
Sur le chemin du retour, Abû Jahl demanda à monter sur la monture de ‘Ayyâsh. Dès que ce dernier descendit, ils se jetèrent sur lui, le ligotèrent et le ramenèrent à La Mecque, où ils le torturèrent jusqu’à lui faire renier sa foi.
Lorsque la nouvelle parvint aux musulmans, cela les attrista profondément. Ils pensaient qu’Allah ne pardonnerait pas à ceux qui avaient apostasié après avoir connu la foi. Mais Allah révéla alors :
{Dis : "Ô Mes serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde d’Allah. Car Allah pardonne tous les péchés. Il est certes le Pardonneur, le Très Miséricordieux. Et revenez repentants à votre Seigneur et soumettez-vous à Lui avant que le châtiment ne vous atteigne et que vous ne soyez secourus. Et suivez la meilleure révélation qui vous a été transmise de la part de votre Seigneur, avant que le châtiment ne vous surprenne sans que vous le perceviez."} (Coran 39/53-55)
Alors ‘Umar (qu’Allah soit satisfait de lui) s’empressa d’annoncer à Hichâm la bonne nouvelle du pardon, en lui envoyant ces versets écrits sur une feuille. Quand Hichâm les lut, il n’en comprit d’abord pas le sens, mais invoqua Dieu afin qu’Il lui en inspire la signification. Dieu lui fit comprendre que ces versets s’adressaient à lui et à ceux qui avaient subi le même sort. Il retourna alors à Médine, repenti et croyant. Peu après, ‘Ayyâsh réussit lui aussi à s’échapper de Quraysh et rejoignit les musulmans.
Ces exemples vivants, sincères, témoignent des épreuves que durent affronter les émigrants pour acquérir leur liberté religieuse et se libérer de l’oppression de Quraysh. Leurs sacrifices préparèrent le terrain pour fonder l’État islamique et établir une société sécurisée et pieuse.