Peu après l’avènement de l’Islam, les Arabes ont commencé à s’intéresser à toutes les sortes de savoirs et de sciences, leurs formidables conquêtes militaires ont été accompagnées de progrès dans les différents domaines de la culture, de la pensée, des sciences et des connaissances théoriques et pratiques ainsi que dans les différents domaines des arts et des métiers.
Ce grand intérêt porté par les Arabo-musulmans, et notamment par leurs élites politico-religieuses, à la science et aux savants fut un élément déterminant qui permit de mettre en place les conditions idéales pour une bonne diffusion de l’enseignement ; c’est ainsi que les sciences en général et la médecine en particulier ont été complètement rénovées, c’est comment si un souffle nouveau leur avait été insufflé. A ce propos, le Prophète lui-même () a incité les musulmans à étudier la médecine, il a dit : « Faites-vous soigner, car Allah, exalté soit-Il, n’a pas créé une maladie sans en créer également son remède, sauf une : la vieillesse » (rapporté par Abou Daoud).
Les savants musulmans ont fait un travail de recherche, de conservation et d’analyse du patrimoine scientifique grec, ils le respectèrent, le remirent en lumière et le développèrent ; cette démarche intelligente contribua grandement à faire progresser la médecine, nous savons par exemple que les musulmans traduisirent en langue arabe les ouvrages de Galien, parmi d’autres savants du monde grec, et distribuèrent ces traductions dans les nombreux centres scientifiques qui constellaient tout l’empire islamique, ce travail considérable apporta d’immenses bénéfices scientifiques.
Il est à noter en outre que les musulmans firent beaucoup pour le développement des soins par les médicaments, beaucoup pensent même que le mot anglais « drug », qui veut dire médicament, est d’origine arabe, comme c’est le cas pour de milliers d’autres termes. Remarquons également que les musulmans fondèrent de grands hôpitaux-universités ainsi que des dispensaires généraux dans tous les coins de leur immense empire. Cet encouragement moral et matériel par les autorités musulmanes à l’enseignement et à la diffusion des sciences médicales permit de les faire progresser beaucoup, et ce, notamment la période qui va du IXe au XIIIe siècle.
Cet épanouissement scientifique engloba tous les Etats et toutes les provinces de l’empire islamique de Bagdad à Cordoue. L’Egypte a joué un rôle assez important dans ces progrès civilisationnels, ses savants donnèrent beaucoup aux sciences médicales ; après qu’Allah, exalté soit-Il, permit aux musulmans d’en faire la conquête en l’an 21 de l’Hégire lors du califat de ‘Umar ibn al-Khattâb (Radhia Allahou Anhou), la culture des anciens Arabes de la péninsule arabique a rencontré la culture des Pharaons dont les habitants de cette contrée étaient encore les porteurs. C’est ainsi que les musulmans empruntèrent ce qu’il y avait de mieux du point de vue scientifique dans les civilisations pharaoniques et grecques, ils devinrent donc les dépositaires de sciences médicales antérieures mais qu’ils développèrent admirablement ; alors que les Romains ne firent pas grand-chose de ce patrimoine scientifique, les Arabo-musulmans surent en mesurer l’importance, apprendre à le maîtriser, l’exploiter, le développer et amener les sciences médicales à des niveaux inconnus jusqu’alors. Cette rencontre civilisationnelle eut des conséquences directes dans la marche en avant scientifique opérée dans les différents domaines des connaissances et du savoir. Notons par ailleurs que les conquêtes islamiques ont été accompagnées quasiment systématiquement de la fondation d’écoles, et parmi elles évidemment on comptait des écoles de médecine. Rappelons que depuis l’avènement de l’Etat islamique, les mosquées ont souvent servi, en plus de leur fonction cultuelle, de lieu d’enseignement des diverses sciences islamiques, c’est ainsi que la première « mosquée-école » de l’Islam fut fondée par le Prophète () dans sa mosquée de Médine après qu’il eut effectué son émigration de La Mecque. Puis avec le temps, la plupart des grandes mosquées de l’empire islamique devinrent des sortes d’universités, au fil du temps on attribua le nom de djâmi’ aux mosquées, et aujourd’hui nous appelons dans le monde arabe les grandes institutions qui prodiguent un enseignement généraliste de haut niveau par un terme qui correspond au féminin de djâmi’, c’est-à-dire djâmi’a, ces universités ou djâmi’ât peuvent être religieuses ou profanes.
‘Umar ibn Mansûr al-Bahâbirî et Muhammad ibn ‘Abdallah al-Misrî avaient atteint une certaine célébrité par le fait qu’ils enseignaient la médecine dans l’université al-Tûlûnî, laquelle fut édifiée par Ahmad ibn Tûlûn, le fondateur de l’Etat tulunide en Egypte au troisième siècle de l’Hégire. De même que ‘Abd al-Latîf al-Baghdâdî devint également célèbre par son enseignement de la médecine au sein de l’université d’al-Azhar, cette dernière fut fondée à l’époque du Sultan fatimide al-Mu’izz li-dînillah, fondateur de la dynastie fatimide en Egypte au quatrième siècle de l’Hégire.
Il est également à noter que des « maisons de la sagesse », c’est-à-dire des bibliothèques, ont été fondées dans divers endroits de l’empire musulman, ces lieux de savoir magnifiques avaient pour mission de rassembler des livres touchant à tous les domaines de la connaissance afin de les protéger et de les traduire. La première « maison de la sagesse » fut celle d’al-Qiyâsiyya, elle fut fondée à l’époque de Hârûn al-Rachîd (deuxième siècle de l’Hégire), et c’est un certain Khâlid ibn al-Barâmika qui se chargea de faire venir des ouvrages précieux de différentes contrées et notamment de celles qui avaient eu une culture florissante comme l’Inde, la Perse ou la Grèce, puis peu à peu se mit en place un travail de traduction qui devint réellement important à partir de l’époque du calife abbasside al-Ma`mûn au début du troisième siècle de l’Hégire. Ainsi, la « maison de la sagesse » de Bagdad devint une sorte d’institut consacré à la recherche scientifique dans les différents domaines du savoir, et notamment dans celui de la médecine, les Arabes ajoutèrent donc leurs découvertes propres aux connaissances apportées par les autres nations qu’ils avaient traduites.
Lorsque les sciences se diffusèrent et que le nombre d’ouvrages scientifiques augmenta, la passion des gens pour les sciences atteignit un tel niveau que les maisons de la sagesse ne suffisaient plus, par conséquent, des maisons des sciences proposant des conférences et autres colloques furent fondées, la première d’entre elles fut la maison des sciences al-Mûsulî au troisième siècle de l’Hégire.
Puis apparurent des écoles fondées à l’initiative d’enseignements et de riches mécènes, dans un premier temps les enseignants et les élèves se réunissaient dans des maisons. Il faut savoir que l’école la plus ancienne fut celle fondée par Abû Bakr ibn Fûrk al-Isbahânî (au cinquième siècle de l’Hégire dans la ville de Nîsâbûr, on y enseignait diverses sciences, puis ces écoles devinrent « étatiques », et donc la première école dite étatique fut celle d’al-Nizâmiya, cette dernière fut créée par Nizâm al-Mulk (au cinquième siècle de l’Hégire à Bagdad et dans le Khurâsân).
Ce qui vient d’être dit nécessite que nous rappelions que les Arabo-musulmans furent les premiers à faire de l’enseignement l’une des missions fondamentales des gouvernants, de même qu’ils furent les premiers à mettre en place des systèmes médicaux et de soins gérés par le pouvoir.
Al-Râzî est considéré comme l’un des médecins musulmans les plus célèbres, il rédigea au Xe siècle de l'ère chrétienne plus de trois cents ouvrages sur la médecine, de même qu’il écrivit une encyclopédie médicale complète. Ibn Sînâ est un autre médecin musulman extrêmement connu, d’ailleurs son livre phare Al-qânûn fî al-tibb est devenu l’une des références les plus importantes enseignées dans les écoles de médecine durant le Moyen Âge, dans le monde musulman bien sûr mais également en Europe. Un autre médecin musulman, celui-là originaire de Cordoue en Andalousie, devint célèbre, il s’agit d’al-Zahrâwî ; ce dernier rédigea au Xe siècle un ouvrage rassemblant de manière détaillée toutes les connaissances médicales de son époque, de même qu’il écrivit un livre illustré traitant de chirurgie, lequel est considéré comme le premier du genre dans l’histoire de la médecine, ce livre important contient notamment des croquis et dessins des instruments chirurgicaux de son temps.
Outre des maisons de la sagesse, les musulmans établirent également des maisons de sciences médicales, parmi celles-ci on trouve la célèbre maison d’Ibn Sînâ, des étudiants s’y réunissaient, certains s’adonnaient à la lecture du Qânûn, d’autres apprenaient les méthodes de soin, les cours y étaient dispensés le soir car durant le jour les médecins-enseignants étaient occupés à servir le Sultan et les princes. Parmi les autres écoles médicales importantes, on trouve aussi l’école d’al-Dakhwâriyya dans le Cham, elle fut fondée par Abû Muhammad ibn ‘Alî ibn Hâmid plus connu sous le nom d’al-Dakhwâr, ce dernier était une sorte d’ophtalmologiste, il apprit cette science auprès de nombreux médecins exerçant à Damas, il enseigna lui-même au grand hôpital d’al-Nûrî, puis après sa mort, on fit de sa maison un legs pieux et elle fut convertie en une école de médecine. Parmi ces écoles de médecine prestigieuses, il y a celle d’al-Dînasriyya, fondée par ‘Imâd al-Dîn al-Dînasrî. Cependant, les maisons des sciences et les écoles de médecine ne suffisaient plus, car la médecine fait partie des sciences expérimentales et de fait ces dernières sont difficilement étudiables dans des structures comme ces écoles et autres instituts de médecine ; par conséquent, le besoin d’effectuer des études scientifiques poussées s’est vite fait ressentir, c’est ainsi que les hôpitaux devinrent des lieux d’enseignement alliant théorie et pratique, car en effet par définition les hôpitaux sont des lieux où de vrais malades viennent se faire soigner, ce qui constitue un matériel inépuisable d’expérimentation pour ceux qui cherchent à faire progresser la médecine.
Al-bîmâristân, que nous traduisons par hôpital, est un mot arabe emprunté à la langue perse qui se compose de deux racines, la première bîmâr veut dire « maladie » et la seconde stân veut dire « lieu », quand on associe les deux cela donne « le lieu de la maladie », puis au fil du temps le terme s’est simplifié et est devenu mâristân ; pendant longtemps ce terme a désigné les lieux où les gens soignaient des maladies psychologiques, et aujourd’hui se sont les dialectes arabes qui utilisent ce mot pour désigner ces mêmes lieux.
Ainsi, des écoles médicales et scientifiques, autrement appelées hôpitaux-écoles (al-bîmâristânât), furent créées un peu partout, les plus importantes d’entre elles furent le bîmâristân al-Muqtadirî au IVe siècle de l’Hégire à Bagdad, mais les Mongols le réduisirent en cendre, le bîmâristân al-Nûrî al-Kabîr (VIe siècle de l’Hégire), le bîmâristân al-‘Adhadî à Bagdad, le bîmâristân al-Mansûri au Caire, fondé par al-Mansûr Sayf al-Dîn Qalâwûn (VIIe siècle de l’Hégire). Il est important de dire que ces hôpitaux accueillirent comme professeurs ou élèves des savants et médecins qui ont marqué l’histoire, c’est ainsi par exemple que le bîmâristân al-‘Adhadî accueillit des personnalités scientifiques comme Ibn Batlân, Ibn Tilmîdh, Sannân ibn Qurra, al-Nûrî accueillit quant à lui Ibn Nafîs, Ibn Abî Asîb’a, etc. Il est à noter en sus que le bîmâristân Qalâwûn du Caire était un grand hôpital durant le Moyen Âge, la direction de ce dernier était confié, comme dans les autres bîmâristân-s, à des médecins de qualité, cette fonction était très importante. Le bîmâristân se divisait en deux sections, l’une pour les hommes et l’autre pour les femmes, on y trouvait divers départements dont chacun avait sa propre spécialité : ophtalmologie, chirurgie générale, fièvre et diarrhée, maladies psychologiques, etc. Le bîmâristân Qalâwûn disposait également d’un service externe qui accueillait environ 4000 patients chaque jour, ces derniers avaient accès à des soins de grande qualité. Chaque département était dirigé par un chef de service, ces différents chefs de service étaient les seules personnes compétentes pour désigner ceux qui parmi les étudiants du bîmâristân pouvaient exercer la médecine.
Il était aisé d’intégrer les écoles médicales et les le bîmâristân-s, l’étudiant pouvait aller s’asseoir sans problème là où le professeur dispensait son cours, il l’écoutait et était libre de choisir les matières qu’il souhaitait étudier, il n’était pas obligé de suivre un programme stricte, néanmoins ce n’était pas l’anarchie comme on pourrait l’imaginer, en fait, l’étudiant devait absolument étudier certains ouvrages fondamentaux et il ne pouvait obtenir son « diplôme » ou idjâza que s’il maîtrisait parfaitement ces ouvrages.
Hélas, ce beau système que nous musulmans avons mis en place au fil des siècles grâce à notre épanouissement politico-économico-culturel s’est peu à peu désagrégé, avec le reste de ce qui constituait l’âge d’or de notre civilisation, puis il a été imité et adopté par l’Occident où il est toujours appliqué aujourd’hui, et nous sert à nous, ironie de l’histoire, de modèle. C’est ainsi qu’aux Etats-Unis ou en Europe, les étudiants qui poursuivent des études supérieures peuvent choisir leurs professeurs ainsi que les sujets et programmes qu’ils vont en fait étudier eux-mêmes dans une totale liberté, leurs professeurs ou directeurs de recherche ne leur imposent rien. Mais qui aujourd’hui reconnaît que cette manière de faire est une invention purement arabo-musulmane et que le monde occidental doit beaucoup à la civilisation islamique en termes de sciences et de méthodes d’enseignement ?
En 1537, soit six siècles environ après cette invention islamique, un médecin belge, en fait l’un de plus grands savants de l’université de Louvain, un dénommé André Phisalus, traduisit dans diverses langues européennes le neuvième tome du livre d’al-Râzî, puis Philasus ne tarda pas à être nommé professeur d’anatomie à l’université de Padoue, c’est donc à son époque que le département d’études médicales introduisit dans l’université de Padoue la manière islamique de pratiquer la médecine, laquelle ne tarda pas à se répandre dans toute l’Europe et joua donc un rôle essentiel dans les immenses progrès que les Européens accomplirent dans le domaine de la médecine à partir de la Renaissance.