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Les musulmans : entre surconsommation et décroissance

Les musulmans : entre surconsommation et décroissance

Allah, exalté soit-Il, dit dans le Coran :

« Vous préférez la vie de ce monde alors que la vie de l’Au-delà est meilleure et qu’elle durera éternellement » (Coran 87/16-17).
« Sachez que la vie d'ici-bas n'est qu'un jeu, frivolité, parure, course à l'orgueil entre vous et rivalité dans l'acquisition des richesses et des enfants. Elle est en cela pareille à une pluie : la végétation qu'elle fait naître émerveille les cultivateurs, puis elle se fane et tu la vois donc jaunie, ensuite elle devient tels des débris. Et dans l'au-delà un dur châtiment pour les non croyants et aussi pardon et agrément d'Allah pour les croyants. Quant à la vie d'ici-bas, elle n'est que jouissance trompeuse.» (Coran 20/57)
« Vous voulez les biens de ce monde. Allah veut, pour vous, la Vie future » (Coran 8/67).
« Ils ont joui de la vie de ce monde. Qu’est donc la vie de ce monde en comparaison de la vie dernière sinon comme une jouissance éphémère ? » (Coran 13/26).

D'après Sahl Ibn Sa'd al-Sa'idî, un homme est venu au Prophète () et a dit : « Ô Messager d'Allah ! Montre-moi une œuvre qui si je la pratique Allah va m'aimer et les gens vont m'aimer ? ». Le Prophète () a dit :
« Fais preuve de zuhd (ascétisme) dans la vie d'ici-bas alors Allah t'aimera et fais preuve de zuhd vis-à-vis de ce qui est dans les mains des gens alors les gens t'aimeront ». (Rapporté par Ibn Mâdjah).
« L'Heure approche alors que les gens aiment de plus en plus cette vie présente, et se détournent de plus en plus d'Allah.» (hadith Sahih rapporté par al-Hakim)
« Ce bas monde est maudit et tout ce qui s'y trouve est maudit, à l'exception de l'évocation d'Allah et de ceux qui le prennent comme allié et des savants ou de ceux qui apprennent la science.» (rapporté par al-Tirmidhî et Ibn Mâdjah d'après Abou Hurayra.)
« La vie présente est la prison du croyant et le paradis du mécréant. » (hadith rapporté par Mouslim)


L’imam Ahmad ibn Hanbal rapporte d’après Sufyân :
« ‘Isâ ibn Maryam disait : « L’amour de ce monde est à l’origine de tout péché et les biens pécuniaires en lui, constituent un mal grave. On a dit : quel est ce mal ? Il a répondu : on ne peut se débarrasser de la fatuité et de la vanité. On a dit : si on arrive à s’en débarrasser ? Il a répondu : pour celui qui possède ces biens, le fait de les fructifier le détourne de l’invocation et de la mention d’Allah »

C’est là, parmi beaucoup d’autres, quelques-uns des versets, hadiths ou propos de grands savants qui démontrent que l’Islam appelle les musulmans à la modération, la sobriété, la simplicité ou encore à la frugalité. Nous constatons hélas que les musulmans, et notamment ceux vivant dans des pays développés, sont extrêmement éloignés de ces recommandations. En effet, la plupart d’entre eux sont totalement happés par le mode de fonctionnement économique des sociétés modernes, lequel a pour fondement essentiel la surconsommation d’objets transitionnels dont on nous vante les vertus et la nécessité par le truchement de campagnes publicitaires aussi incessantes qu’omniprésentes, campagnes qui ont au fond peu de chose à envier aux pires propagandes des systèmes totalitaires du XXe siècle, il s’agit littéralement de conditionner les individus à consommer sans relâche tout et n’importe quoi pour les bénéfices de grandes multinationales, au détriment des intérêts objectifs des intéressés et souvent en dépit du bon sens. Ainsi, alors que nous pensons que notre religion nous donne les clés afin de nous prémunir contre ce piège poussant l’homme vers un matérialisme froid, nous devons malheureusement déplorer le fait qu’une grande partie des musulmans se laissent séduire par le modèle de la surconsommation prôné et imposé par le libéralisme mondialisé.
Que ce soit dans les sociétés modernes musulmanes ou dans les sociétés occidentales comptant des minorités musulmanes, nous observons la même chose : rares sont ceux dans la communauté qui pratiquent une forme d’ascétisme face à cette incitation permanente à consommer. On constate même qu’ils font partie des catégories d’individus les moins à même de refreiner les pulsions d’achat intempestifs encouragées par le système économique de ces sociétés. En fait, dès que des musulmans s’élèvent socialement et commencent à avoir les moyens de consommer, ils se jettent à corps perdu dans une consommation excessive dont les premières marques évidentes sont une prise de poids notable. En effet, prenons par exemple les sociétés musulmanes développées, il est très difficile de trouver des hommes de plus de trente ans qui ne soient pas en surpoids et n’aient pas de ventre ; a contrario, il nous faut constater que souvent les non-musulmans d’origines occidentales ou asiatiques vivant dans ces mêmes sociétés sont beaucoup moins touchés par l’obésité et les maladies liées à une alimentation déséquilibrée et surabondante. C’est comme si inconsciemment les musulmans de ces sociétés pensaient que la réussite sociale passait obligatoirement par une surconsommation de nourriture. Notons qu’outre cette alimentation anarchique, l’autre cause de cette « épidémie » de surpoids chez les musulmans « ayant les moyens », est leur sédentarité forcenée, oublieux qu’ils sont d’autres prescriptions de l’Islam qui incitent ses adeptes à être actifs et à prendre soin de leur corps qui est un dépôt (amana) qu’Allah, exalté soit-Il, leur a laissé.
Notons que l’eau est également l’objet d’une utilisation dispendieuse, alors pas en tant que boisson, car nombreux sont les musulmans qui lui préfèrent les sodas et autres « jus » trop sucrés, mais lors des ablutions. En effet, on constate que beaucoup de musulmans, lors de leurs purifications rituelles et quotidiennes, laissent leurs robinets couler à grande eau, et cela est encore plus scandaleux quand ce genre de scène se passe dans des pays où l’eau est rare et précieuse. Ne parlons même pas des mégalitres d’eau employées dans ces mêmes pays pour rendre rutilantes les voitures.
A côté de ces deux écueils que sont la surconsommation de nourriture et celle de l’eau dans les sociétés musulmanes développées, on trouve l’utilisation abusive de crédits afin d’acheter notamment des véhicules neufs massifs de type 4×4 censés être la parfaite incarnation de la réussite sociale. Le plus souvent la motivation première est l’orgueil, le désir de montrer qu’on est riche, alors qu’en général cet achat dispendieux ne correspond pas aux revenus réels de l’emprunteur. Il y a donc là une absence de modestie doublée d’un gaspillage d’argent, car en effet cet achat maintient la plupart du temps l’emprunteur dans l’obligation de rembourser mensuellement une forte somme à la banque durant parfois plusieurs années, tout cela afin de paraître ce qu’il n’est pas. Sans compter le fait que ces musulmans ont recours à un moyen au pire formellement interdit par la religion, c’est-à-dire le crédit usurier, et au mieux très ambiguë dans le cas d’un crédit dit « islamique ». On trouve même des personnes contractant ce genre de crédit dans le but d’aller passer des vacances ruineuses dans des hôtels cinq étoiles d’Europe ou d’ailleurs. C’est ainsi que des sommes formidables sont englouties en peu de temps lors de séjours sans réels intérêts (le Four seasons de Dubaï est le même que celui de Las Vegas ou de Paris). On est donc là fort bien loin de l’attitude humble, modeste et parcimonieuse du musulman aspirant à imiter le modèle prophétique.
Enfin, beaucoup de musulmans ayant un bon ou un fort pouvoir d’achat, passent tout leur temps libre à flâner dans de grandes galeries commerciales achetant une multitude d’objets transitionnels inutiles comme le tout dernier Smartphone ou un écran de télévision géant ultraplat ou encore refaisant une garde-robe déjà bien fournie et essentiellement composée de vêtements et accessoires (sacs, bijoux, etc.) très peu portés. Cette attitude, qui s’est généralisée et est devenue la norme, n’a absolument rien à voir avec celle que devraient adopter les musulmans. L’Islam nous enjoint d’éviter le gaspillage et de nous méfier des biens matériels qui peuvent, si on si attache trop, dévorer le cœur et faire oublier l’essentiel qui est la foi, car pour s’élever spirituellement il est nécessaire de se détacher de ce bas-monde.
Alors, pourquoi une grande partie des musulmans vivant dans des pays développés cèdent sans retenue au chant des sirènes de la société de consommation ? Question difficile s’il en est, on peut néanmoins entrevoir un début de réponse dans le fait qu’en surconsommant ils ne pensent pas commettre un acte illicite comme le fait de boire de l’alcool, mais au contraire ils sentent ainsi qu’ils accèdent au mode de vie idéalisé des sociétés occidentales, car en effet il ne faut pas perdre de vue que les peuples dominés (militairement, économiquement ou politiquement) subissent l’influence en toute chose des peuples dominants, il y a là une invariable historique. Ainsi, les Gaulois, après avoir lutté contre l’invasion romaine et avoir été vaincus, n’aspirèrent plus qu’à ressembler aux Romains, leurs ennemis d’hier. Dans cette relation dominant/dominé il y a donc une ambigüité ou une contradiction fondamentale : le dominé entretient à l’égard de son dominant un sentiment mêlant haine et fascination, fascination car ce dernier incarne la force, la bonne organisation et le progrès technique, donc le dominé n’a qu’une envie : devenir comme lui. Toute proportion gardée, nous pouvons dire que les musulmans d’aujourd’hui sont à la domination occidentale, qui est libérale et consumériste, ce que les Gaulois furent à la domination romaine.
Ainsi, nous, musulmans, ressentons certes une défiance et une certaine rancœur à l’endroit de l’Occident pour des raisons historiques (croisades, colonisation, Palestine, guerres du Golfe, etc.), mais ça ne nous empêche nullement de vouloir imiter le modèle occidental et notamment le mode de vie qui est le sien, lequel nous le rappelons est fondé sur le libéralisme économique, la surconsommation, l’ultra-individualisme, le matérialisme ou encore l’absence de transcendance, autant d’approches et de systèmes d’organisation très éloignés de ce que nous préconise notre religion.
Alors comment renouer avec le chemin qui devrait être le nôtre ? Question ardue, car il semblerait que cette domination des esprits menant à cette imitation collective de ce modèle matérialiste et consumériste est la conséquence inéluctable de la domination économique et politique que nous subissons depuis de longues très longues décennies. La seule issue serait donc qu’en tout premier lieu, les pays musulmans retrouvent leur souveraineté et se remettent à vivre en conformité, économiquement et politiquement, aux règles et recommandations du Coran et de la Sunna. Vaste chantier que celui-là. Mais en attendant que ce type de changement régalien arrive, les musulmans, pris dans les filets de l’inlassable et frénétique surconsommation, pourraient individuellement s’arrêter un instant afin de réfléchir un peu sur ce mode de fonctionnement confinant parfois à la folie. Est-ce là but de la vie ? Bonheur et plénitude sont-ils proportionnels au pouvoir d’achat et à l’accumulation invraisemblable d’objets aussi inutiles qu’onéreux ? Ne peut-il pas y avoir une profonde satisfaction à se contenter de peu et donc à pratiquer ce que certains appellent une « sobriété heureuse » ? Ce dernier concept a d’ailleurs une traduction économique et concrète appelée « décroissance », ce terme, qui est un néologisme forgé à partir du début des années 70, renvoie à un concept à la fois politique, économique et social selon lequel la croissance économique constitue davantage une source de nuisances que de bienfaits pour l’humanité. Si ce concept apparait avant tout comme une alternative globalisante au système libéral qui régit le monde aujourd’hui, il inspire aussi plus prosaïquement des individus dans leur vie quotidienne, lesquels, qui se nomment eux-mêmes « décroissants », tentent, à leur niveau, de se libérer de l’aliénation libérale et consumériste en se pliant à une sorte de simplicité volontaire dans leur mode de consommation. Grosso modo, ils limitent leurs besoins au strict nécessaire et évitent autant que faire se peut le gaspillage et l’acquisition d’objets inutiles.
Le plus frappant est que ces « décroissants » ne sont pour plupart pas des musulmans, mais qu’ils se comportent, au nom du bon sens et du bien commun, comme devraient le faire les musulmans. Ainsi, les musulmans, plutôt que d’imiter aveuglement le modèle économique occidental dominant, qui contrevient en tout à l’éthique musulmane, pourraient s’inspirer des principes décroissants, ils découvriraient alors que ces derniers sont déjà présents dans l’Islam.
Les enjeux sont lourds, car notre soumission à ce système économique dysfonctionnel, aliénant et destructeur de valeurs, joue une grande part dans la décadence que connaît le monde musulman. Nous sommes aujourd’hui incapables de proposer une alternative économique et politique viable, nous ne faisons en somme qu’intégrer et entériner par nos pratiques un système qui veut notre perte spirituel en nous éloignant peu à peu de notre foi et de notre religion.

 

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